Le projet CLIPSSA met en lumière les stratégies locales d’adaptation face aux bouleversements climatiques dans le Pacifique au 92e colloque de l’ACFAS

À l’occasion du 92e colloque de l’ACFAS, qui s’est tenu du 5 au 9 mai 2025 au Canada sur le thème « perspectives de recherche croisées sur les pratiques de gestion responsable », le projet CLIPSSA (Climat du Pacifique Sud, Savoirs Locaux et Stratégies d’Adaptation) a porté la voix des agricultures insulaires du Pacifique. Dans une communication intitulée « De la perception aux stratégies d’adaptation : pratiques de gestion locale du changement climatique en Nouvelle-Calédonie et au Vanuatu », Samson Jean Marie, doctorant en anthropologie et géographie au sein de ce projet, a présenté les premiers résultats de ces enquêtes de terrain. Il a exposé comment les agriculteurs de ces territoires, en première ligne face aux dérèglements climatiques, adaptent leurs pratiques pour y faire face.

 

Des territoires en première ligne

Les sociétés océaniennes, largement dépendantes des ressources naturelles et agricoles, se retrouvent en première ligne face à l’intensification des perturbations météo-climatiques et environnementales : sécheresses prolongées, cyclones destructeurs, salinisation des terres, décalage des saisons agricoles. Vanuatu, régulièrement classé parmi les pays les plus exposés aux risques climatiques mondiaux, en est une illustration frappante. En Nouvelle-Calédonie, les épisodes répétés de La Niña et d’El Niño provoquent des déséquilibres hydriques et fragilisent la sécurité alimentaire des zones rurales.

À partir d’une centaine d’entretiens menés auprès d’agriculteurs, d’institutions, de responsables politiques et d’organisations locales, Samson, en collaboration avec l’équipe de recherche du projet, analyse la manière dont se construisent et se transmettent les savoirs agricoles face aux aléas climatiques.

Cette démarche, résolument interdisciplinaire, articule anthropologie, agronomie, géographie, sociologie et climatologie, afin de saisir la complexité des dynamiques locales. Dans sa prise de parole, le doctorant a présenté un éventail de réponses adaptatives locales, telles que les pratiques de gestion des cultures, les stratégies de gestion de l’eau, les systèmes d’alerte cyclonique locaux, ainsi que les réponses post-catastrophe identifiées dans les territoires étudiés. « L’adaptation ne se résume pas à une application de recommandations internationales. Elle est vécue, bricolée, discutée, à l’échelle des jardins, des champs, des familles », a expliqué le jeune chercheur.

Des savoirs locaux dynamiques

Contrairement à une idée reçue, les savoirs locaux ne sont pas figés. Ils sont transmis, ajustés, réinventés face aux transformations du climat. Paillage traditionnel, culture en trous, stockage d’eau dans des tanks artisanaux, adaptation des variétés, alertes orales communautaires avant les cyclones : les innovations des agriculteurs prennent des formes diverses, souvent invisibles aux yeux des décideurs, mais centrales pour la résilience locale. « Dans plusieurs villages de Vanuatu et des tribus en Nouvelle-Calédonie, des agriculteurs expérimentés servent de relais d’information avant l’arrivée des cyclones. Ils lisent les signes du vent, des oiseaux, de la mer. Ces marqueurs bio-culturels, couplés avec des informations météo permettent aux agriculteurs de mieux anticiper l’événement [cyclone] », observé plus largement par l’équipe de recherche.

De la parole aux actes : quand les pratiques locales montrent la voie

En documentant ces savoirs, le projet CLIPSSA souligne que les communautés rurales du Pacifique ne sont pas simplement « vulnérables » aux effets du changement climatique : elles sont déjà en action, souvent de manière pragmatique et innovante, loin des projecteurs médiatiques ou des politiques climatiques internationales. Autrement dit, ces initiatives incarnent déjà une démarche de gestion responsable du changement climatique et environnemental à l’échelle locale. Elles constituent des bases concrètes sur lesquelles les politiques publiques et les institutions peuvent s’appuyer.

Le colloque de l’ACFAS a ainsi offert une tribune pour rappeler l’urgence de faire évoluer les approches quant aux considérations des pratiques agricoles locales d’adaptation dans les politiques climatiques. Comme pour répondre à l’intitulé du colloque « perspectives de recherche croisées sur les pratiques de gestion responsable » et de la conférence débat « passer de la parole aux actes », le doctorant répond : « qu’il est temps de passer de la parole aux actes. Et cela commence par reconnaître que l’adaptation ne se décrète pas, mais elle se construit avec les premiers concernés : les habitants eux-mêmes. Les pratiques locales, notamment celles en lien avec les réponses adaptives aux impacts du changement climatique, sont une forme d’expertise locale en acte. Les ignorer, c’est se priver de leviers essentiels pour une adaptation durable ».

Plantation de taro dans la « voura » d’Ipayato (Santo, Vanuatu) @ Samson JEAN MARIE

 

Les équipes scientifiques CLIPSSA sur le terrain

Dans le cadre du projet Climat du Pacifique, Savoirs Locaux et Stratégies d’Adaptation (CLIPSSA), les chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS) se sont déployés sur le terrain dans les quatre pays et territoires concernés : Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, Polynésie française et Vanuatu. Objectifs : documenter et rendre compte des savoirs agricoles locaux, ainsi que leur dynamique d’ajustement face aux défis du changement climatique.

 

Quelques chiffres clés

A ce jour,  les équipes SHS ont réalisé plusieurs centaines d’entretiens dans les différents sites étudiés :

  • Nouvelle-Calédonie (La Foa, Canala et Maré) : 89 agriculteurs, 11 acteurs institutionnels et politiques ; 
  • Vanuatu (Espiritu Santo et Efate) : 43 agriculteurs, 12 acteurs institutionnels et politiques
  • Polynésie française (Tahiti et Moorea) :  57 agriculteurs, 3 transformateurs, 36 acteurs institutionnels, 10 chercheurs
  •  Wallis-et-Futuna (Futuna et Alo) : 25 agriculteurs, 10 acteurs institutionnels

 

Trois mois de terrain en Polynésie française au premier semestre 2025

D’avril à juillet 2025, le postdoctorant modélisateur Dakéga RAGATOA (en charge de la Polynésie française et Wallis-et-Futuna) et l’ingénieure de projet Fleur VALLET ont accompagné l’équipe SHS sur le terrain, composée de Maya LECLERCQ (anthropologue postdoctorante), Chloé DELBOVE et Moeana PENLAE (stagiaires en SHS).

 

Rencontres institutionnelles et restitutions intermédiaires

Sur les îles de Tahiti et Moorea,  les chercheurs et chercheuses ont échangé avec  la Chambre de l’Agriculture et de la Pêche Lagonaire (CAPL), la Direction de l’Agriculture (DAG), le CRIOBE, les cabinets AgroDev et Pae Tai Pae Uta (PTPU), ainsi qu’avec le lycée agricole d’Opunohu et les porteurs du projet “Taro ITE”, soutenu par l’initiative KIWA.

Restitution publique à l’Université de Polynésie française

Le 22 avril, un séminaire à la Maison des Sciences de l’Homme du Pacifique (MSHP) a permis à Maya et Dakéga de présenter les méthodologies et premiers résultats du projet. Cette restitution publique s’inscrit dans une démarche de vulgarisation scientifique et d’implication des acteurs locaux. L’événement a réuni l’agence AFD en Polynésie française, des représentants associatifs, des étudiants et des chercheurs. Une seconde restitution a également eu lieu au lycée Saint Joseph de Punaauia, où Dakéga a présenté le modèle agroclimatique APSIMX, utilisé pour simuler les effets futurs du climat sur les cultures, notamment les tubercules (igname, taro, manioc…) du Pacifique.

Retrouvez ici l’enregistrement intégral du séminaire.

Pour en savoir plus : Du savoir local à la simulation : une approche intégrée pour anticiper les impacts climatiques sur les tubercules du Pacifique

 

A la rencontre des acteurs de terrain

Maya, anthropologue chargée de la coordination des enquêtes de terrain en Polynésie française, a encadré, avec le soutien de Catherine SABINOT, anthropologue à l’IRD et coordinatrice scientifique de CLIPSSA, les enquêtes de terrain auprès des agriculteurs menées par Chloé et Moeana. Elles réalisent leur stage de fin d’étude au sein du projet CLIPSSA, dans le cadre de leur Master, au Muséum National d’Histoire Naturelle pour Chloé, et à l’Université de Polynésie française pour Moeana. Elles ont toutes deux passé plusieurs semaines auprès des agriculteurs, à Moorea pour Moeana et sur la presqu’île de Tahiti pour Chloé, afin de mieux comprendre leurs pratiques et stratégies d’adaptation pour faire face aux impacts du changement climatique. Elles ont ainsi complété les résultats produits en 2024 par Maya et Marie-Amélie RICHEZ. 

Par ailleurs, cette mission s’est clôturée par l’organisation de plusieurs ateliers-restitutions auprès des publics de l’enquête : les futurs agriculteurs en formation BTSA du lycée agricole de Moorea, les agriculteurs de Moorea, et ceux de la presqu’il de Tahiti rencontrés.

Pour en savoir plus : Restitution des travaux scientifiques de CLIPSSA au Lycée Agricole d’Opunohu, Moorea

 

 

Trois mois de terrain à Vanuatu au premier semestre 2025

En parallèle, Samson JEAN MARIE, doctorant en anthropologie et géographie et Ida PALENE, stagiaire de l’ISTOM, ont réalisé six mois d’enquêtes cumulées en immersion à Efate et Espiritu Santo. Catherine SABINOT les a accompagnés durant deux semaines. De plus, en avril Gildas GUIDIGAN, postdoctorant modélisateur, a rejoint l’équipe durant 3 semaines afin d’appréhender le terrain et rencontrer les acteurs institutionnels disposant de données agricoles.

Rencontres institutionnelles et scientifiques

Afin d’assurer la bonne collaboration avec les institutions de chaque territoire, de nombreuses rencontres ont été organisées. 

A Efate, ils ont échangé avec le Vanuatu Meteorology and Geohazards Department (VMGD), le Department of Agricultural and Rural Development (DARD), ainsi que des représentants du projet Van-KIRAP (Vanuatu Klaemet Infomesen blong Redy, Adapt mo Protekt), qui vise à renforcer la résilience pays face aux effets des changements climatiques. 

Sur l’île d’Espiritu Santo, une visite de travail à Vanuatu Agriculture Reserach and Training Center (VARTC) a été organisée par Marie Vianney MELTERAS, directrice de recherche du centre, également point focal pour le projet CLIPSSA au Vanuatu. 

Une ethnographie des savoirs agricoles

Samson et Ida ont partagé pendant plusieurs semaines le quotidien des communautés agricoles rurales, de Santo et d’Efate. Dans les foyers, les champs, les marchés, les sentiers forestiers ou les rivières, les deux jeunes chercheurs ont multiplié les rencontres : avec des anciens, des jeunes, des femmes et des hommes, mais aussi avec des acteurs institutionnels et coutumiers. Loin d’une approche distante, ils ont choisi une méthode immersive fondée sur l’observation participante, le dialogue et l’écoute attentive. Accompagnés ponctuellement durant leur séjour par Catherine, ils ont mobilisé un éventail de méthodes : entretiens semi-directifs (individuels et collectifs), observations participantes, ateliers débats, et relevés géoréférencés de champs et des lieux de partage de savoirs.

Des systèmes agricoles en constantes adaptation

Leur enquête révèle un large éventail de stratégies d’adaptation mises en œuvre par les familles agricoles : diversification des parcelles, rotations culturales, maintien de systèmes d’irrigation traditionnels, mise en culture de zones plus reculées…

Alors que Samson inscrit ce travail dans sa thèse sur les savoirs locaux et les capacités d’adaptation, Ida a porté une attention particulière au rôle des femmes, souvent invisibilisées malgré leur place centrale dans les activités du champ, de la préservation et de partage des semences.

Au retour de terrain, les deux jeunes chercheurs ne rapportent pas seulement des données dans leurs carnets : ils reviennent aussi enrichis d’une langue qu’ils harem save (comprennent) et toktok (parlent) désormais, le bislama. Témoignage vivant de leur immersion et de la relation tissée avec les communautés rencontrées.

 

 

 

CLIPSSA, entre fourche, fourneau et prévisions climatiques

Dans le cadre de leurs enquêtes de terrain, les chercheurs s’imprègnent aussi au mieux de la transformation des denrées étudiées dans CLIPSSA. Du laplap vanuatais au Nalot, repas traditionnel des îles de l’archipel, en passant par les ateliers de lait de coco à Taravao en Polynésie française, les équipes se sont plongées dans les cultures culinaires de leurs hôtes. 

Ces activités font écho et s’inscrivent dans le sillage de l’enjeu de la souveraineté alimentaire des îles du Pacifique, en toile de fond du projet CLIPSSA.

Pour aller plus loin : consultez les prochains articles d’actualités sur les rapports de stage en sciences humaines et sociales. 

Adaptation des pratiques agricoles et gestion de l’eau à Moorea : Transmission et évolution des savoirs locaux face au changement climatique – Stage de fin d’études réalisé par Moeana PENLAE

Stage de fin d’études réalisé par Moeana PENLAE 
Université de la Polynésie française – Master 2 Biodiversité, Écologie et Environnement parcours Environnements Insulaires Océaniens (BEE – EIO) 
Février – Juillet 2025 
Encadrantes : Maya LECLERCQ (IRD), Catherine SABINOT (IRD) 

Soutenance : le 17 juin 2025 à l’UPF en présence 4 professeurs/chercheurs en tant que jury, de Maya Leclercq et des élèves de la promotion avec l’équipe CLIPSSA de Nouméa en visio 

A participé à l’animation de 3 restitutions-ateliers à Tahiti et Moorea en juin et juillet 2025, réunissant des étudiants en formation agricole et des agriculteurs locaux rencontrés sur le terrain.  

Figure 1 : Photo d’une des restitutions-ateliers menée à Moorea auprès des étudiants en BTS Agricole et des stagiaires en Formation à l’Installation Agricole (FIA) au Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole (CFPPA) de Opunohu (Source : Maya Leclercq, juin 2025) 

 

Résumé de l’article 

Les territoires insulaires du Pacifique sont particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique, notamment en ce qui concerne l’agriculture à petite échelle, soumise à des aléas tels que l’irrégularité des pluies, les sécheresses et la fragilité des écosystèmes. Dans ce contexte, une bonne gestion de l’eau et la préservation des savoirs agricoles adaptés sont essentielles pour garantir la sécurité alimentaire. Cette étude, menée à Moorea dans le cadre du projet CLIPSSA, s’intéresse à la manière dont les agriculteurs s’adaptent aux défis environnementaux. Notre équipe a mené des entretiens, des observations de terrain et des ateliers participatifs, mettant en évidence une diversité de stratégies locales : utilisation d’indicateurs environnementaux traditionnels, techniques innovantes comme les systèmes de drainage ou le compostage. L’étude met en lumière deux grands types de savoirs agricoles : d’une part, les anciens savoirs transmis oralement ou par observation, comme les cycles lunaires (tarena) ou la phénologie des plantes ; d’autre part, des savoirs contemporains issus de pratiques modernes, transmis via les médias, les vidéos en ligne ou les formations. En effet, il existe des formes hybrides de transmission, où les connaissances circulent à travers des échanges entre pairs, les réseaux sociaux ou des dispositifs de formation mêlant pratiques empiriques et apports techniques. Toutefois, ces savoirs sont fragilisés par des contraintes socio-économiques comme le désintérêt de la jeunesse dans le secteur agricole ou encore les difficultés d’accès à la terre. Le travail met donc en évidence les fragilités de la transmission des savoirs agricoles, et souligne l’importance d’ancrer les politiques d’adaptation ancrées dans les réalités locales. 

 

Contexte de l’étude 

Les îles hautes comme Moorea sont particulièrement vulnérables au changement climatique : précipitations extrêmes, inondations, glissements de terrain, sécheresses prolongées. Ces aléas menacent la sécurité alimentaire locale et compliquent la gestion de l’eau, notamment pour les cultures sensibles comme le taro ou les cultures maraichères. Pour cette étude, le terrain d’enquête concerne une portion importante de l’île de Moorea qui comprend un lotissement agricole et le lycée agricole dans la vallée d’Opunohu et des vallées où est pratiquée l’agriculture vivrière.  

Figure 2 : Site de l’étude 

 

En plus des problématiques liées au climat, les agriculteurs doivent faire face à plusieurs contraintes sociales. La jeunesse se détourne souvent de l’agriculture, attirée par des emplois perçus comme plus valorisants. L’accès au foncier reste difficile, avec des terres partagées ou non sécurisées. Enfin, les savoirs anciens se perdent peu à peu avec le vieillissement des agriculteurs, dont l’âge moyen est de 49 ans (RGA 2023), menaçant la transmission des connaissances et la relève générationnelle. 

L’étude repose sur 18 entretiens semi-directifs réalisés de mi-avril à fin mai sur l’île de Moorea auprès des acteurs institutionnels (Direction de l’Agriculture (DAG), Chambre de l’Agriculture et de la Pêche Lagonaire (CAPL), etc.) et des agriculteurs, et des échanges informels avec des vendeurs de fruits et légumes en bord de route.  

Principaux résultats 

Les résultats mettent en lumière une diversité de pratiques d’adaptation qui témoignent à la fois d’un ancrage culturel fort et d’une grande capacité d’innovation : 

  • L’eau : un enjeu central
    En période de fortes pluies (décembre-janvier en Polynésie française), l’excès d’eau représente aujourd’hui un des principaux défis climatiques pour les agriculteurs de la vallée d’Opunohu, en particulier pour des cultures sensibles comme le taro, la banane ou la papaye qui souffrent de la saturation des sols. Dans certaines zones, des systèmes de drainage (caniveaux) ou de collecte d’eau de pluie ont été mis en place, parfois de façon artisanale. Toutefois, les ateliers menés auprès des agriculteurs ont montré que cette contrainte n’est pas partagée par tous : sur les terrains en pente, le ruissellement naturel permet d’évacuer l’eau plus facilement, limitant ainsi les risques d’engorgement. 

Figure 3 : Photo d’un caniveau creusé sur le terrain d’une agricultrice à Opunohu (Moorea) pour évacuer l’excès d’eau (Source : Moeana Penlae, juillet 2025) 

 

  • Choix des cultures selon le contexte local
    Les producteurs adaptent leurs choix à la topographie, à la qualité des sols et à l’accès à l’eau : bananiers en zones humides, agrumes sur les hauteurs, ananas en terrain sec. Certains diversifient leurs cultures pour réduire les risques. 
  • Des savoirs en constante hybridation
    Beaucoup d’agriculteurs continuent d’utiliser des repères traditionnels comme le tarena ou les signes de la nature (phénologie des plantes, apparition de certains insectes signifiant qu’il va pleuvoir, etc.). Ces repères sont combinés avec des sources modernes comme les tutoriels en ligne, les conseils de la DAG ou des formations agricoles (CFPPA). 
  • Un lien fort au territoire
    Le fa’a’apu est plus qu’un champ : c’est un lieu d’apprentissage, de mémoire et d’identité. Il incarne une relation sensible au fenua, un terme tahitien qui désigne généralement un pays, une terre ou un territoire. Il est souvent associé à tout ce qui touche au sol, à l’environnement ou à l’appartenance culturelle.  
  • Une transmission fragilisée
    Le savoir agricole a longtemps circulé traditionnellement par l’observation et la pratique entre générations. Aujourd’hui, cette transmission se perd, car les jeunes s’intéressent moins au secteur agricole, le métier d’agriculteur étant peu valorisé. 

 

Moins dépenser pour s’adapter

Dans un contexte de ressources limitées, les agriculteurs développent des solutions low-cost et autonomes, souvent en dehors des dispositifs institutionnels : 

  • Compost naturel à base de restes alimentaires, feuilles de bananier, déchets végétaux ou déchets de poisson, 
  • Bacs enterrés et bâches de récupération pour stocker l’eau de pluie, 
  • Culture en buttes ou en zones surélevées, pour lutter contre l’eau stagnante, 
  • Associations de cultures pour optimiser l’humidité du sol (ex : planter des bananiers autour des cultures) 

Il est constaté que pour faire face au changement climatique, de nombreux agriculteurs mettent en place des solutions simples et peu coûteuses, souvent fabriquées par eux-mêmes. En 1962, Claude Lévi-Strauss décrit le « bricoleur » comme une personne qui assemble de manière créative les matériaux dont elle dispose pour résoudre des problèmes, illustrant ainsi l’inventivité des pratiques à travers une pensée souple et débrouillarde. Ces pratiques traduisent aussi un certain isolement : faute d’accompagnement ciblé, l’adaptation repose sur les efforts individuels. 

 

Conclusion 

L’agriculture à Moorea est aujourd’hui traversée par plusieurs enjeux : climatiques, sociaux, institutionnels. Pourtant, les agriculteurs font preuve d’une résilience active en inventant de nouvelles manières de cultiver, d’apprendre et de transmettre. Cette résilience repose sur : 

  • Une connaissance fine du milieu, 
  • Une capacité à tester, ajuster, bricoler, 
  • Un attachement culturel fort au fenua, 
  • Et une volonté de faire perdurer un mode de vie lié à la terre. 

Pour renforcer cette dynamique, il est urgent de : 

  • Reconnaître les agriculteurs comme co-acteurs de l’adaptation, 
  • Soutenir les solutions plus modestes et innovations locales, 
  • Créer des espaces d’échange intergénérationnels, 
  • Inclure les savoirs locaux dans les politiques publiques climatiques. 

Cette recherche, bien qu’ancrée à Moorea, propose des enseignements pour d’autres territoires insulaires. Elle montre que les savoirs agricoles locaux ne sont pas des choses du passé, mais des ressources utiles pour construire un avenir plus solidaire, autonome et adapté au changement climatique. 

Clim’en Vers

Porté par l’IRD, Météo-France et l’AFD, le projet CLIPSSA (Climat du Pacifique, Savoirs locaux et Stratégies d’Adaptation), souhaite donner la parole à la jeune génération sur le changement climatique, en mêlant à la science l’art de l’écriture.
Le projet Clim’en Vers émane de cette volonté et a été conçu par Caroline AGIER, chargée d’affaires communication et numérique à la direction interrégionale de Météo-France en Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna.
Il a pour but d’accompagner des élèves dans la création de textes en rapport avec les changements climatiques et l’adaptation à ces derniers, ainsi que de les exposer lors d’évènements pertinents, sous forme de panneaux. 

 

La transmission des connaissances sur le changement climatique

Pour débuter ce projet, Thomas ABINUN, ingénieur chargé d’études météo et climat à la direction interrégionale de Météo-France en Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, et Myriam VENDÉ-LECLERC, chargée de la stratégie d’adaptation climat au gouvernement de Nouvelle-Calédonie, ont exposé aux élèves les grandes lignes concernant les changements climatiques globaux, ainsi que les différentes façons de s’y adapter. Le mardi 6 mai 2025, deux classes du Lycée Escoffier à Nouméa ont assisté à cette présentation, coordonnée par leur professeure de sciences, Mme BERTRAND.

Séance d’introduction sur les changements climatiques au lycée Escoffier, 06/05/2025, ©Cléophée MONTIZON

Le choix des mots clés, l’écriture et la déclamation 

Pour la deuxième étape, celle de l’écriture, la classe de secondes de sciences et technologies de l’hôtellerie et de la restauration (STHR) s’est appliquée durant deux heures lors du cours de français de Mr MAFFAY, le jeudi 22 mai. Cet atelier d’écriture, animé par Georgina SIOREMU, artiste et alternante communication et médiation scientifique dans l’équipe CLIPSSA, a permis aux élèves de créer des textes engagés et sincères, tout en aiguisant leur sens du rythme grâce à une récitation finale. Leurs productions originales résultent de quatre mises en situations différentes : 

  • Écris une lettre à un proche qui vit à l’autre bout de la terre et qui ne connaît pas encore, ou peu, l’impact que peuvent avoir les changements climatiques. Prévient le.
  • Tu habites en bord de rivière, à cause des fortes pluies ta maison a été inondée, tu as dû déménager en haut de la montagne, décris ton sentiment.
  • Connais-tu la métaphore du Colibri, s’il pouvait parler, que dirait-il aux Hommes ?
  • Tu retrouves un ancien tuteur de stage quelques années plus tard, il est restaurateur et il te parle de sa difficulté à trouver de la matière première, surtout en igname, patate douce et taro, à cause des fortes sécheresses et fortes pluies. Tu rentres chez toi et tu écris ton ressenti dans un journal.

Séance de travail au lycée Escoffier, mai-juillet 2025, ©Caroline AGIER

 

Lors des ateliers d’écritures suivants, le mercredi 2 juillet et le mercredi 9 juillet, les élèves ont incorporé des figures de style et amélioré les tournures de certaines phrases afin de les rendre plus percutantes. Chaque groupe est ensuite passé à l’oral pour s’entraîner à clamer leur texte. 

 

Pour la classe des premières, le jeudi 3 juillet, les élèves ont eu la surprise de découvrir un nouvel intervenant, le slameur local et international Simane, accompagné de l’influenceur et présentateur TV Astro, ainsi que Passil, organisateur du Urban Films Festival. Ces derniers leurs ont transmis les bases du slam, sa définition, les valeurs et objectifs de cet art oratoire. En se servant d’une liste de verbes et d’un nuage de mots autour du thème de “l’environnement”, il a ensuite créé un slam en quelques minutes. Pour finir, Simane a partagé aux élèves de nombreux conseils pour apprendre à clamer leurs textes et à les rythmer. Les élèves ont ensuite assisté à plusieurs démonstrations de slam, de la part des différents intervenants. La deuxième heure à été consacrée à un atelier de rédaction, animé par Georgina SIOREMU, dans le but de mettre en lien la future profession de ces élèves en hôtellerie-restauration avec le projet CLIPSSA.

Séance de travail au lycée Escoffier, 03/07/2025, ©Caroline AGIER

 

Plusieurs sujets ont été transmis aux élèves afin qu’ils puissent s’en inspirer : 

  • Le menu de demain, cuisine en temps de crise : imaginez un restaurant en 2050, confronté aux pénuries alimentaires dûes au changement climatique. Comment s’adapter ? Quelles nouvelles recettes ? Quelle créativité ? 
  • Le lycée submergé, chronique d’un lieu englouti : Racontez l’histoire d’un lycée hôtelier situé sur une côte menacée par la montée des eaux. Que deviennent ses employés, ses clients, son histoire ?
  • Le banquet de la dernière chance : Vous organisez un repas symbolique pour sensibiliser au changement climatique. Que servir ? Qui inviter ? Quelle ambiance ? 
  • Carnet de bord d’un apprenti éco-responsable : Vous suivez un apprenti qui apprend à cuisiner et à servir en réduisant son impact environnemental. Tri, circuits courts, énergies, éthique…
  • Un monde sans saison : Imaginez un monde où les saisons ont disparu. Qu’est-ce qui peut changer dans l’organisation d’un restaurant et dans la composition des plats ? 

 

Les jeunes slameurs sont donc passés par les différentes phases nécessaires à la création de textes, à savoir le développement d’idées, la recherche du vocabulaire, la rédaction avec rimes, et l’incorporation de figures de styles. Le vendredi 4 juillet, les premières ont terminé leurs textes et rédigé au propre, avant de clamer cette version finale à l’oral. 

Les créations des élèves de premières et terminales  ont été exposées lors du Forum Calédonien du Changement Climatique du 22 juillet, organisé par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, en partenariat avec l’UNC.

Exposition au Forum Calédonien du Changement Climatique, 22/07/2025, ©Caroline AGIER

 

Elles seront de nouveau mises en valeurs le 8 août, durant le Festival des Sciences-EDD organisé par le Vice-Rectorat et en octobre, lors de la Fête de la science organisé par le CRESICA.

Panneaux d’exposition Clim’en Vers, 07/2025, © Caroline Agier