Accueil > Actualités > Adaptation des pratiques agricoles et gestion de l’eau à Moorea : Transmission et évolution des savoirs locaux face au changement climatique – Stage de fin d’études réalisé par Moeana PENLAE
Stage de fin d’études réalisé par Moeana PENLAE 
Université de la Polynésie française – Master 2 Biodiversité, Écologie et Environnement parcours Environnements Insulaires Océaniens (BEE – EIO) 
Février – Juillet 2025 
Encadrantes : Maya LECLERCQ (IRD), Catherine SABINOT (IRD) 

Soutenance : le 17 juin 2025 à l’UPF en présence 4 professeurs/chercheurs en tant que jury, de Maya Leclercq et des élèves de la promotion avec l’équipe CLIPSSA de Nouméa en visio 

A participé à l’animation de 3 restitutions-ateliers à Tahiti et Moorea en juin et juillet 2025, réunissant des étudiants en formation agricole et des agriculteurs locaux rencontrés sur le terrain.  

Figure 1 : Photo d’une des restitutions-ateliers menée à Moorea auprès des étudiants en BTS Agricole et des stagiaires en Formation à l’Installation Agricole (FIA) au Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole (CFPPA) de Opunohu (Source : Maya Leclercq, juin 2025) 

 

Résumé de l’article 

Les territoires insulaires du Pacifique sont particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique, notamment en ce qui concerne l’agriculture à petite échelle, soumise à des aléas tels que l’irrégularité des pluies, les sécheresses et la fragilité des écosystèmes. Dans ce contexte, une bonne gestion de l’eau et la préservation des savoirs agricoles adaptés sont essentielles pour garantir la sécurité alimentaire. Cette étude, menée à Moorea dans le cadre du projet CLIPSSA, s’intéresse à la manière dont les agriculteurs s’adaptent aux défis environnementaux. Notre équipe a mené des entretiens, des observations de terrain et des ateliers participatifs, mettant en évidence une diversité de stratégies locales : utilisation d’indicateurs environnementaux traditionnels, techniques innovantes comme les systèmes de drainage ou le compostage. L’étude met en lumière deux grands types de savoirs agricoles : d’une part, les anciens savoirs transmis oralement ou par observation, comme les cycles lunaires (tarena) ou la phénologie des plantes ; d’autre part, des savoirs contemporains issus de pratiques modernes, transmis via les médias, les vidéos en ligne ou les formations. En effet, il existe des formes hybrides de transmission, où les connaissances circulent à travers des échanges entre pairs, les réseaux sociaux ou des dispositifs de formation mêlant pratiques empiriques et apports techniques. Toutefois, ces savoirs sont fragilisés par des contraintes socio-économiques comme le désintérêt de la jeunesse dans le secteur agricole ou encore les difficultés d’accès à la terre. Le travail met donc en évidence les fragilités de la transmission des savoirs agricoles, et souligne l’importance d’ancrer les politiques d’adaptation ancrées dans les réalités locales. 

 

Contexte de l’étude 

Les îles hautes comme Moorea sont particulièrement vulnérables au changement climatique : précipitations extrêmes, inondations, glissements de terrain, sécheresses prolongées. Ces aléas menacent la sécurité alimentaire locale et compliquent la gestion de l’eau, notamment pour les cultures sensibles comme le taro ou les cultures maraichères. Pour cette étude, le terrain d’enquête concerne une portion importante de l’île de Moorea qui comprend un lotissement agricole et le lycée agricole dans la vallée d’Opunohu et des vallées où est pratiquée l’agriculture vivrière.  

Figure 2 : Site de l’étude 

 

En plus des problématiques liées au climat, les agriculteurs doivent faire face à plusieurs contraintes sociales. La jeunesse se détourne souvent de l’agriculture, attirée par des emplois perçus comme plus valorisants. L’accès au foncier reste difficile, avec des terres partagées ou non sécurisées. Enfin, les savoirs anciens se perdent peu à peu avec le vieillissement des agriculteurs, dont l’âge moyen est de 49 ans (RGA 2023), menaçant la transmission des connaissances et la relève générationnelle. 

L’étude repose sur 18 entretiens semi-directifs réalisés de mi-avril à fin mai sur l’île de Moorea auprès des acteurs institutionnels (Direction de l’Agriculture (DAG), Chambre de l’Agriculture et de la Pêche Lagonaire (CAPL), etc.) et des agriculteurs, et des échanges informels avec des vendeurs de fruits et légumes en bord de route.  

Principaux résultats 

Les résultats mettent en lumière une diversité de pratiques d’adaptation qui témoignent à la fois d’un ancrage culturel fort et d’une grande capacité d’innovation : 

  • L’eau : un enjeu central
    En période de fortes pluies (décembre-janvier en Polynésie française), l’excès d’eau représente aujourd’hui un des principaux défis climatiques pour les agriculteurs de la vallée d’Opunohu, en particulier pour des cultures sensibles comme le taro, la banane ou la papaye qui souffrent de la saturation des sols. Dans certaines zones, des systèmes de drainage (caniveaux) ou de collecte d’eau de pluie ont été mis en place, parfois de façon artisanale. Toutefois, les ateliers menés auprès des agriculteurs ont montré que cette contrainte n’est pas partagée par tous : sur les terrains en pente, le ruissellement naturel permet d’évacuer l’eau plus facilement, limitant ainsi les risques d’engorgement. 

Figure 3 : Photo d’un caniveau creusé sur le terrain d’une agricultrice à Opunohu (Moorea) pour évacuer l’excès d’eau (Source : Moeana Penlae, juillet 2025) 

 

  • Choix des cultures selon le contexte local
    Les producteurs adaptent leurs choix à la topographie, à la qualité des sols et à l’accès à l’eau : bananiers en zones humides, agrumes sur les hauteurs, ananas en terrain sec. Certains diversifient leurs cultures pour réduire les risques. 
  • Des savoirs en constante hybridation
    Beaucoup d’agriculteurs continuent d’utiliser des repères traditionnels comme le tarena ou les signes de la nature (phénologie des plantes, apparition de certains insectes signifiant qu’il va pleuvoir, etc.). Ces repères sont combinés avec des sources modernes comme les tutoriels en ligne, les conseils de la DAG ou des formations agricoles (CFPPA). 
  • Un lien fort au territoire
    Le fa’a’apu est plus qu’un champ : c’est un lieu d’apprentissage, de mémoire et d’identité. Il incarne une relation sensible au fenua, un terme tahitien qui désigne généralement un pays, une terre ou un territoire. Il est souvent associé à tout ce qui touche au sol, à l’environnement ou à l’appartenance culturelle.  
  • Une transmission fragilisée
    Le savoir agricole a longtemps circulé traditionnellement par l’observation et la pratique entre générations. Aujourd’hui, cette transmission se perd, car les jeunes s’intéressent moins au secteur agricole, le métier d’agriculteur étant peu valorisé. 

 

Moins dépenser pour s’adapter

Dans un contexte de ressources limitées, les agriculteurs développent des solutions low-cost et autonomes, souvent en dehors des dispositifs institutionnels : 

  • Compost naturel à base de restes alimentaires, feuilles de bananier, déchets végétaux ou déchets de poisson, 
  • Bacs enterrés et bâches de récupération pour stocker l’eau de pluie, 
  • Culture en buttes ou en zones surélevées, pour lutter contre l’eau stagnante, 
  • Associations de cultures pour optimiser l’humidité du sol (ex : planter des bananiers autour des cultures) 

Il est constaté que pour faire face au changement climatique, de nombreux agriculteurs mettent en place des solutions simples et peu coûteuses, souvent fabriquées par eux-mêmes. En 1962, Claude Lévi-Strauss décrit le « bricoleur » comme une personne qui assemble de manière créative les matériaux dont elle dispose pour résoudre des problèmes, illustrant ainsi l’inventivité des pratiques à travers une pensée souple et débrouillarde. Ces pratiques traduisent aussi un certain isolement : faute d’accompagnement ciblé, l’adaptation repose sur les efforts individuels. 

 

Conclusion 

L’agriculture à Moorea est aujourd’hui traversée par plusieurs enjeux : climatiques, sociaux, institutionnels. Pourtant, les agriculteurs font preuve d’une résilience active en inventant de nouvelles manières de cultiver, d’apprendre et de transmettre. Cette résilience repose sur : 

  • Une connaissance fine du milieu, 
  • Une capacité à tester, ajuster, bricoler, 
  • Un attachement culturel fort au fenua, 
  • Et une volonté de faire perdurer un mode de vie lié à la terre. 

Pour renforcer cette dynamique, il est urgent de : 

  • Reconnaître les agriculteurs comme co-acteurs de l’adaptation, 
  • Soutenir les solutions plus modestes et innovations locales, 
  • Créer des espaces d’échange intergénérationnels, 
  • Inclure les savoirs locaux dans les politiques publiques climatiques. 

Cette recherche, bien qu’ancrée à Moorea, propose des enseignements pour d’autres territoires insulaires. Elle montre que les savoirs agricoles locaux ne sont pas des choses du passé, mais des ressources utiles pour construire un avenir plus solidaire, autonome et adapté au changement climatique.