À l’occasion du 92e colloque de l’ACFAS, qui s’est tenu du 5 au 9 mai 2025 au Canada sur le thème « perspectives de recherche croisées sur les pratiques de gestion responsable », le projet CLIPSSA (Climat du Pacifique Sud, Savoirs Locaux et Stratégies d’Adaptation) a porté la voix des agricultures insulaires du Pacifique. Dans une communication intitulée « De la perception aux stratégies d’adaptation : pratiques de gestion locale du changement climatique en Nouvelle-Calédonie et au Vanuatu », Samson Jean Marie, doctorant en anthropologie et géographie au sein de ce projet, a présenté les premiers résultats de ces enquêtes de terrain. Il a exposé comment les agriculteurs de ces territoires, en première ligne face aux dérèglements climatiques, adaptent leurs pratiques pour y faire face.
Des territoires en première ligne
Les sociétés océaniennes, largement dépendantes des ressources naturelles et agricoles, se retrouvent en première ligne face à l’intensification des perturbations météo-climatiques et environnementales : sécheresses prolongées, cyclones destructeurs, salinisation des terres, décalage des saisons agricoles. Vanuatu, régulièrement classé parmi les pays les plus exposés aux risques climatiques mondiaux, en est une illustration frappante. En Nouvelle-Calédonie, les épisodes répétés de La Niña et d’El Niño provoquent des déséquilibres hydriques et fragilisent la sécurité alimentaire des zones rurales.
À partir d’une centaine d’entretiens menés auprès d’agriculteurs, d’institutions, de responsables politiques et d’organisations locales, Samson, en collaboration avec l’équipe de recherche du projet, analyse la manière dont se construisent et se transmettent les savoirs agricoles face aux aléas climatiques.
Cette démarche, résolument interdisciplinaire, articule anthropologie, agronomie, géographie, sociologie et climatologie, afin de saisir la complexité des dynamiques locales. Dans sa prise de parole, le doctorant a présenté un éventail de réponses adaptatives locales, telles que les pratiques de gestion des cultures, les stratégies de gestion de l’eau, les systèmes d’alerte cyclonique locaux, ainsi que les réponses post-catastrophe identifiées dans les territoires étudiés. « L’adaptation ne se résume pas à une application de recommandations internationales. Elle est vécue, bricolée, discutée, à l’échelle des jardins, des champs, des familles », a expliqué le jeune chercheur.
Des savoirs locaux dynamiques
Contrairement à une idée reçue, les savoirs locaux ne sont pas figés. Ils sont transmis, ajustés, réinventés face aux transformations du climat. Paillage traditionnel, culture en trous, stockage d’eau dans des tanks artisanaux, adaptation des variétés, alertes orales communautaires avant les cyclones : les innovations des agriculteurs prennent des formes diverses, souvent invisibles aux yeux des décideurs, mais centrales pour la résilience locale. « Dans plusieurs villages de Vanuatu et des tribus en Nouvelle-Calédonie, des agriculteurs expérimentés servent de relais d’information avant l’arrivée des cyclones. Ils lisent les signes du vent, des oiseaux, de la mer. Ces marqueurs bio-culturels, couplés avec des informations météo permettent aux agriculteurs de mieux anticiper l’événement [cyclone] », observé plus largement par l’équipe de recherche.
De la parole aux actes : quand les pratiques locales montrent la voie
En documentant ces savoirs, le projet CLIPSSA souligne que les communautés rurales du Pacifique ne sont pas simplement « vulnérables » aux effets du changement climatique : elles sont déjà en action, souvent de manière pragmatique et innovante, loin des projecteurs médiatiques ou des politiques climatiques internationales. Autrement dit, ces initiatives incarnent déjà une démarche de gestion responsable du changement climatique et environnemental à l’échelle locale. Elles constituent des bases concrètes sur lesquelles les politiques publiques et les institutions peuvent s’appuyer.
Le colloque de l’ACFAS a ainsi offert une tribune pour rappeler l’urgence de faire évoluer les approches quant aux considérations des pratiques agricoles locales d’adaptation dans les politiques climatiques. Comme pour répondre à l’intitulé du colloque « perspectives de recherche croisées sur les pratiques de gestion responsable » et de la conférence débat « passer de la parole aux actes », le doctorant répond : « qu’il est temps de passer de la parole aux actes. Et cela commence par reconnaître que l’adaptation ne se décrète pas, mais elle se construit avec les premiers concernés : les habitants eux-mêmes. Les pratiques locales, notamment celles en lien avec les réponses adaptives aux impacts du changement climatique, sont une forme d’expertise locale en acte. Les ignorer, c’est se priver de leviers essentiels pour une adaptation durable ».
Plantation de taro dans la « voura » d’Ipayato (Santo, Vanuatu) @ Samson JEAN MARIE